1 - LE MIRAGE, UN TROIS-PONTS REDOUTABLE
Le Mirage est une synthèse des puissants vaisseaux trois-ponts d'environ
74 canons sortis des arsenaux du Royaume de France entre 1660 et 1670.
Contrairement aux navires de guerre construits dans la première moitié
du XVIIe siècle, le Mirage a perdu une partie de la surélévation des superstructures
à la poupe. Cette surélévation était typique d'une époque où un bâtiment
de guerre, destiné au combat rapproché, voire à l'abordage, devait dominer
ses adversaires.
La batterie basse du Mirage est percée à 14 sabords et armée de canons
de 24 livres (parfois de 18 livres en cas de pénurie de 24). A la proue,
on remarque l'absence des sabords de chasse. La deuxième batterie est
armée de canons de 18 livres. Le pont principal constitue la troisième
batterie avec des canons de 8 et 12 livres. Le gaillard d'avant n'est
pas armé alors que le gaillard d'arrière possède 4 canons de 6 livres.
Au-dessus, la dunette n'est pas armée non plus.
L'arcasse est forte de 4 canons de chasse, armement traditionnel sur les
vaisseaux de premier rang. Enfin, la présence de trois grands fanaux à
la poupe indique qu'il s'agit d'un vaisseau amiral. La poupe est somptueusement
parée d'ornementations et de sculptures en ronde-bosse disposées de manière
symétrique le long des deux galeries superposées. La présence de galeries
de côté en lieu et place des bouteilles est typique des vaisseaux de la
première Marine du Roi Soleil.
2 - LA PREMIÈRE MARINE DE LOUIS
XIV (1670)
En 1661, Mazarin meurt. La Marine de France n'existe pratiquement
plus. Seule une vingtaine de vaisseaux de 16 à 56 canons a pu être sauvée
de la ruine. Louis XIV décide de doter le royaume d'une flotte capable
de rivaliser avec les deux grandes forces navales de l'époque : les Provinces-Unies
et l'Angleterre. En 1666, les constructions, trop lentes, forcent la France
à acheter huit vaisseaux en Hollande et au Danemark. En 1668, le rythme
s'accélère et, en 1671, l'objectif de 120 vaisseaux est atteint. C'est
ce que les historiens appellent la première Marine de Louis XIV.
Cette construction s'est faite sans aucune directive générale et officielle.
A l'époque médiévale, les seigneurs, aidés des entrepreneurs, se muaient
en architectes pour diriger les ouvrages. De 1660 à 1670, rien n'a changé
: les officiers de haut rang sont chargés de donner les directives aux
maîtres charpentiers. Ces directives sont données en fonction des goûts
et du savoir de chacun d'eux. Les officiers viennent essentiellement des
armées de terre, où ils se sont distingués, et n'ont pas la compétence
pour prendre les meilleures décisions. Abraham Duquesne, lieutenant général
des armées navales, est l'un des rares à savoir de quoi il parle, mais
ses avis seront rarement suivis. Pourtant certains concepts de construction
existent : Colbert, chargé des affaires de la Marine dès 1660, fait part
de conseils précis dans sa correspondance. Cependant il lui est difficile
de lutter contre le poids des habitudes dans les arsenaux.
En attendant la mise à l'eau de cette marine, la France importe : d'abord
du bois du nord de l'Europe pour les mâtures, du chanvre de Riga pour
les cordages, de la saumure, du goudron végétal, mais aussi du cuivre
et de l'étain (pour le bronze des canons). Elle importe aussi de la main-d'uvre
pour ses arsenaux : des charpentiers de Hollande qui enseignent leur art
aux charpentiers français, des fondeurs et des forgerons pour la confection
des canons et des ancres. Heureusement, malgré les pillages et les destructions
qui accompagnèrent les deux Fronde, le pays n'est pas sans potentiel.
A Brest, les Hubac possèdent une longue expérience dans la construction
navale ; à Toulon, plusieurs maîtres charpentiers exercent sous la direction
de Gédéon Rodolphe, un remarquable constructeur hollandais qui a quitté
son pays en 1645, sur les instances de Mazarin, pour s'établir en Provence.
La décoration navale de la première Marine se veut somptueuse. Les vaisseaux
de ligne copient le faste de Versailles. Tout doit concourir au prestige
du Roi. Colbert le rappelle à d'Infreville, intendant de l'arsenal de
Toulon, en 1669 : «Il n'y a rien qui frappe tant les yeux, ni marque
tant la magnificence du Roi que de bien orner les vaisseaux comme les
plus beaux qui aient encore paru à la mer.» Charles Lebrun est désigné
pour concevoir les décorations et en superviser l'exécution. De nombreuses
sculptures de style baroque, parfois teintées de classicisme, embellissent
les œuvres mortes des navires. Les artistes puisent leur inspiration dans
le Panthéon antique : poupes et proues sont ornées de divinités de l'Olympe,
d'animaux symboliques. Cependant Lebrun, absorbé par la décoration des
jardins de Versailles, est obligé de délaisser les décorations navales.
A Toulon, le sculpteur Girardon, qui a la confiance de Lebrun, est chargé
des décors. A Brest, il faut faire appel à des artistes de la région parisienne.
Evidemment, l'exécution de ces monuments artistiques, bien éloignés des
besoins militaires, prend du temps et coûte cher.
3 - LES RÈGLEMENTS ROYAUX : UN
ESSAI D'UNIFORMISATION
AVANT LA DEUXIÈME MARINE (1690)
La nouvelle Marine est aussitôt comparée à ses rivales. Dans l'ensemble,
les bâtiments ne portent pas bien la voile : les œuvres mortes sont trop
élevées, l'abondance des décorations surcharge les vaisseaux et le gaillard
d'avant s'avère parfois pénalisant dans la navigation.
On aboutit ainsi au premier règlement royal du 4 juillet 1670 établissant
le nombre de ponts, l'étagement des logements et les aménagements du fond
de cale ; le gaillard d'avant est interdit sauf sur les deux plus grosses
unités de la flotte (Soleil Royal et Royal Louis). Ce règlement essaie
en outre d'apporter une uniformité dans l'entre-distance des sabords de
la batterie basse. En réalité, ces mesures ne suffisent pas à remédier
aux préoccupations de la construction, d'autant plus que s'engage une
polémique sur la largeur des vaisseaux : celle-ci doit-elle faire plus
ou moins le quart de la longueur? Les constructeurs, en désaccord, campent
sur leur position.
Paraît alors le deuxième règlement royal du 22 mars 1671 qui instaure
officiellement les Conseils de construction. Ceux-ci doivent rassembler
toute l'information possible sur toutes les marines, y compris celle de
France, s'informer de tout ce qui contribue à la bonne ou mauvaise tenue
des vaisseaux à la mer et, enfin, dresser des devis pour les constructions.
D'autre part, le règlement tente d'améliorer la stabilité sous voile des
vaisseaux en réduisant la hauteur entre les ponts, donc l'élévation des
uvres mortes.
Ce deuxième règlement ne parviendra pas à standardiser la construction
car, à la base, les critères ne sont pas arrêtés. Après la fascination
de Colbert pour la flotte des Provinces-Unies survient, en 1672, le changement
d'alliance : la France se rapproche de l'Angleterre et part en guerre
avec elle contre les Hollandais. Colbert éprouve alors une vive admiration
pour le Marine anglaise. Lors de la jonction des flottes anglaise et française
en juin 1672, peu avant la bataille de Solebay, les officiers français
se livrent à une véritable inspection des vaisseaux de ligne anglais.
Tourville, le futur amiral, aidé du fils Hubac, se rend notamment à bord
du Royal Charles afin d'en relever les principales mesures! Ces relevés
aboutissent à des mémoires transmis aux Conseils de construction. De nombreux
voyages de dignitaires et commissaires français outre-Manche viennent
enrichir les documents soumis aux Conseils. On remarqua des différences
notables entre les deux Marines. La flotte anglaise étant regardée comme
la plus puissante d'Europe, les charpentiers français furent montrés du
doigt.
De nombreux voyages de dignitaires et commissaires français outre-Manche
viennent enrichir les documents soumis aux Conseils. On remarqua des différences
notables entre les deux Marines. La flotte anglaise étant regardée comme
la plus puissante d'Europe, les charpentiers français furent montrés du
doigt. Louis XIV édicte alors le règlement du 13 septembre 1673 qui fixe
les dimensions nécessaires des différents vaisseaux pour aboutir à une
réelle uniformisation. Ce règlement ne sera guère suivi d'effets. A Brest,
les Hubac continuent leur pratique, notamment en mettant à l'eau des vaisseaux
plus larges qu'ailleurs. Au niveau de la décoration, l'architecture des
poupes est en partie simplifiée ; les sculptures sont allégées. Le retour
des galeries (comme sur le Mirage) est interdit au profit des bouteilles.
A la suite de la campagne du Texel en 1673, une nouvelle polémique s'engagea
: celle de la hauteur du tirant d'eau. On s'aperçut que les vaisseaux
français tiraient cinq pieds de plus que les vaisseaux hollandais. Colbert
exigea un mémoire sur le tirant d'eau de tous les vaisseaux du roi! Mais
la France lutte maintenant contre une partie de l'Europe coalisée : Provinces-Unies,
Espagne et empire germanique. Les impératifs de la guerre monopolisent
toutes les attentions. Tiraillés entre les exigences du ministre, les
contraintes techniques et le poids indispensable de l'expérience, les
maîtres charpentiers ne respectent pas les règlements royaux. Personne
ne parle plus de standardisation.
Il faudra attendre l'Ordonnance du 15 avril 1689, après la mort de Colbert
et celle de son fils Seignelay, pour voir un ultime essai de standardisation.
Entre-temps, les écoles de construction navale et de mathématiques se
sont implantées ; la pratique du plan s'est généralisée. L'Ordonnance
de 1689 fixe le cadre de la construction de la deuxième Marine de Louis
XIV : les vaisseaux s'allongent, la puissance de feu s'accroît ; les dimensions
des navires des cinq premiers rangs sont imposées (mais, là encore, les
constructeurs ne les respecteront pas). La deuxième Marine va subir l'épreuve
du feu lors de la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Après la bataille indécise
de Velez-Malaga en 1704, le roi décide de privilégier la guerre de course.
Il met un terme à la construction des vaisseaux de ligne et plus particulièrement
à celle des trois-ponts.
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