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LA CARAQUE ATLANTIQUE, 1510

Le navire de transport du XVIe siècle

1 - LE NAVIRE DE TRANSPORT DU XVIe SIÈCLE

La caraque atlantique proposée ici est un modèle générique de navire de transport utilisé par les Espagnols et les Portugais au début du XVIe siècle pour rallier les côtes des Indes occidentales. Les plans du voilier ont été reconstruits à partir de gravures d'époque et de documents trouvés dans les archives historiques du musée naval de Barcelone. Ses lignes, notamment la proue et la poupe, le placent entre le navire marchand médiéval (la caraque proprement dite) et le galion qui va se répandre sur les océans aux XVIe et XVIIe siècles. La surélévation des gaillards d'avant et d'arrière est un élément remarquable : le bâtiment est issu d'une époque où l'abordage constitue encore l'élément majeur du combat naval, l'artillerie étant trop faible pour prétendre à la meilleure part. Selon cette vision du combat, il est indispensable d'être très haut sur l'eau afin de dominer son adversaire et de s'en emparer à l'abordage. Les luttes qui opposeront l'Invincible Armada aux flottes anglaises marqueront la fin de ce règne et laisseront définitivement la place aux affrontements à distance à coups de canons.

Sur la caraque, on note la présence de galeries extérieures dont l'une possède un balcon, et d'appartements sous le petit gaillard d'arrière. De même, les superstructures des ponts qui soutiennent des tentes pour se protéger du soleil montrent à l'évidence que le navire servait au transport de passagers de haut rang. Il est vraisemblable d'ailleurs que les grandes plates-formes des gaillards d'avant et d'arrière furent installées pour disposer d'un point d'observation car elles ne semblent guère utiles pour la navigation. Enfin, les écus de proue et de poupe ont des fonctions purement décoratives. A l'époque, le terme caracca est utilisé par les Italiens pour désigner ce que les Espagnols appellent nave ou nao, les Portugais galions et les Allemands hourques. Il s'agit en fait d'une adaptation de la caravelle qui cède son gréement en voiles latines pour un gréement carré. Le tonnage grandit fortement : il peut aller de 250 tonneaux à 1000 tonneaux dans l'Invincible Armada. La caraque est pourvue de deux voiles carrées sur le grand-mât. La plus grande est surmontée d'une petite hune pour le veilleur. A la poupe, l'artimon est gréé avec une voile latine ; la misaine comprend, elle aussi, une voile carrée et le beaupré une petite voile carrée appelée civadière. Ainsi, le début du XVIe siècle est une césure dans l'histoire navale avec des types de navires qui abandonnent définitivement le Moyen-Age.

2 - LA NAVIGATION DES ESPAGNOLS DANS L'ATLANTIQUE AUX XVIe & XVIIe SIÈCLES

A partir du XVIe siècle, les Espagnols et les Portugais acquièrent de gigantesques territoires dans les Amériques et en Insulinde. Ces pays fournissent des denrées très recherchées en Europe : sucre, tabac, thé, café, épices, indigo, sans oublier les métaux précieux. Le transport de ces marchandises entre les colonies et la métropole nécessite la création d'une vaste flotte de commerce qui suit des parcours maritimes précis, souvent sous la protection de vaisseaux de guerre.
Les Portugais ont peu à peu été chassés de leurs colonies de l'archipel de la Sonde par les Hollandais. De ce fait, leurs caraques se concentrent essentiellement sur le trajet entre l'Europe et le Brésil.

Les Espagnols, quant à eux, sont à la tête d'un empire immense et doivent rapatrier régulièrement les produits tropicaux et les métaux précieux depuis la façade atlantique des Amériques. Pour se protéger des corsaires et des pirates, les bâtiments marchands naviguent en convois escortés de navires de guerre. C’est la carrera de Indias. Chaque année, à la fin du printemps, deux convois quittent Cadix. Après dix jours de navigation et une escale aux Canaries, ils profitent des alizés pour gagner en un mois les petites Antilles. Là, les convois se séparent : l'un se dirige vers la Nouvelle Espagne et le port de Veracruz, l'autre vers Carthagène ou Porto-Bello en Terre-Ferme (Colombie actuelle). Les deux trajets sont faits à nouveau en un mois.
Les vaisseaux apportent des denrées européennes : blé, farine, huile, vins, toiles de lin, de chanvre, lainages, soieries, quincaillerie, mercerie, etc. Au retour, l'année suivante, les navires quittent les Amériques avant la fin du mois de juin (période des cyclones). Ils se rassemblent à la Havane pour traverser l'Atlantique en convois et gagner Cadix en une dizaine de semaines. Ils sont chargés de cuir, de plantes comme l'indigo ou la cochenille, de sucre, de tabac et surtout de métaux précieux. A côté des flottes officielles, il existe un important trafic de contrebande ou «interlope» auquel participent Britanniques, Hollandais et Français. Ces pays envoient des vaisseaux dans l'Amérique espagnole pour commercer directement avec les colons. Les autorités ferment les yeux moyennant le versement d'un «cadeau».

Le cadre du Pacifique est totalement différent. Sur les rivages de cet océan, les Espagnols sont les seuls en Europe à posséder des établissements. Ils y pratiquent le cabotage le long de la côte américaine. Pour ce qui est des échanges entre l'Asie et l'Amérique, ils utilisent le fameux galion de Manille.
Le galion de Manille assure pendant deux cent cinquante ans le transport des marchandises et des richesses entre Acapulco et Manille. De l'Amérique vers les Philippines, le trajet reste au niveau du tropique du Cancer en bénéficiant des alizés. Au retour, en revanche, il monte largement dans l'hémisphère nord pour, cette fois, échapper aux alizés. Un seul galion fait le voyage, parfois deux.
La route vers les Philippines est achevée en trois mois ; le retour est plus long (quatre à six mois) et périlleux à cause du gros temps et des maladies. Beaucoup de navires furent engloutis par les flots. En direction d'Acapulco, il transporte les richesses des Indes orientales et de l'Asie : épices, soieries, porcelaines de Chine et tout ce que les marchands indiens ou les colons souhaitent revendre sur la côte du Mexique. Il revient avec une cargaison en argent et monnaie afin surtout d'assurer le bon fonctionnement de l'économie des Philippines.
Le bâtiment est souvent assez fortement armé (il peut aller jusqu'au vaisseau de plus de quatre-vingts canons), capable de s'opposer victorieusement aux bâtiments ennemis attirés par ses richesses. Tous les marins européens, à l'époque, ont entendu parler du galion de Manille. Son éloignement - l'océan Pacifique -, sa cargaison fabuleuse, sa navigation en solitaire et le fait qu'il n'y en ait que deux par an, tout concourait, parmi les équipages des flottes adversaires de l'Espagne, à rendre ce galion mythique. Sa capture restait un rêve inaccessible.

3 - LE GALION DE MANILLE

Dans un océan exclusivement espagnol et bordé de ports espagnols, il était très difficile de s'emparer du galion de Manille. Les Anglais montèrent une puissante expédition navale en 1743, lors de la guerre de l’Oreille de Jenkins. Le commodore George Anson quitta l'Angleterre avec six navires de guerre pour attaquer les possessions espagnoles le long de la côte pacifique de l'Amérique du Sud, puis, si possible, en remontant vers le nord, capturer le galion. Le commodore et sa flotte devaient en fait boucler un véritable voyage autour du monde.

Après avoir raté sa prise au large d'Acapulco, il réussit à bord du Centurion, vaisseau de soixante canons et seul rescapé de toute l'escadre, à s'emparer du fameux galion au large des Philippines en juin 1743. Pour l'histoire, cette glorieuse prise eut lieu cap Espiritu Santo dans l'île Samal. Le galion était la Nuestra Señora de Cabadonga, armée de trente-six canons, vingt-huit pierriers et comprenait cinq cent cinquante hommes d'équipage. Comme l'a écrit le narrateur du Voyage autour du Monde, la joie des marins anglais, conscients d'avoir concrétisé un rêve, fut indescriptible. On estima la valeur du butin à un million et demi de piastres.
Les Espagnols mirent fin au galion de Manille au début du XIXe siècle.

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