1 - LES SOURCES HISTORIQUES
Jusqu'au XIXe siècle, on ne connaissait pas grand-chose sur les navires
vikings. Mais, en 1880, on trouva dans un tumulus (une tombe) de près
de 50 m de diamètre situé à Gokstad, sur la rive du fjord d'Oslo, un drakkar
parfaitement conservé. Long de 23 m, large de 5, avec une hauteur de cale
de 2 m, il a été récemment daté des années 830 par dendrochronologie.
En 1933, on en trouva un autre à Äskekärr. Les archéologues pouvaient
se féliciter : les Vikings avaient l'habitude d'enterrer leurs chefs avec
leur navire de guerre.
Depuis, après de nombreuses découvertes de vestiges multiples (bateaux,
ustensiles), les musées sur les Vikings se sont multipliés en terre scandinave.
D'où vient le mot drakkar? C'est une invention française du XIXe siècle
qui voulait donner une consonance scandinave à des navires possédant une
figure de proue en forme d'animal, souvent le dragon. En fait le mot drakkar
n'est connu dans aucune langue scandinave. Les musées des pays nordiques
consacrés à la civilisation viking ne l'emploient pas. Dans la pratique,
la figure de proue servait souvent, par métonymie, à désigner le navire
tout entier. Il y avait des bisons, des béliers, des serpents et, en majorité,
des dragons. Le dragon, en vieux norois, est appelé dreki (pluriel : drekar).
De là vient sûrement la création du mot drakkar, le deuxième k ayant visiblement
été rajouté pour faire plus vrai, plus sauvage...
Nous emploierons ici le terme exact de langskip (long vaisseau) à cause
de leur rapport 7 (en longueur) pour 1 (en largeur).
2 - LE NAVIRE DE GUERRE VIKING
Le bateau viking est un bâtiment bordé à clin d'un mode de construction
assez rudimentaire. On en a construit un peu partout : il fallait juste
un emplacement dégagé, dominant une rivière navigable, près d'une forêt.
Quand la coque était achevée, on la poussait à l'eau sur des rondins.
Une fois à quai, on mettait en place l'accastillage.
Les essences de bois utilisées étaient celles que l'on trouvait dans les
forêts : le chêne au Danemark, le pin en Norvège, la coque était souvent
en frêne. Sapins, bouleaux, érables et tilleuls fournissaient la matière
première pour l'accastillage. Des rivets, souvent en fer, servaient à
maintenir l'ensemble. La voile était en feutre ; sur les navires de prestiges,
en lin. De par le mode de construction adopté (bordé premier), les langskips
ne pouvaient guère dépasser une longueur de 25 m. Au-delà, il fallait
opter pour une construction bâtarde et compliquée, qui remettait en cause
la robustesse de l'ensemble. Les langskips alliaient un faible tirant
d'eau à un nombre important d'avirons afin de pénétrer profondément en
amont des fleuves. Les boucliers des guerriers étaient fixés au-dessus
des avirons. Ainsi, le plat-bord était rehaussé et protégeait les rameurs.
Les navires étaient non pontés. L'équipage dormait dans des sacs de cuir
sous une bâche pour se protéger des intempéries.
3 - LE NAVIRE DE COMMERCE VIKING
A côté de la tradition guerrière, les Vikings avaient une très forte tradition
marchande. L'Atlantique nord, la mer Baltique et la mer du Nord étaient
sillonnés par un type de navire très bien adapté : le knarr. Ces navires,
la plupart sans rames, étaient plus courts et plus larges que les langskips.
Il n'est pas exagéré de dire que la Scandinavie des Vikings fut une véritable
plaque tournante du commerce européen, une zone de transit particulièrement
active entre l'Est et l'Ouest.
En provenance de la mer Blanche: peaux de cétacés, poissons, huile de
poisson, lard de baleine et résineux. D'Angleterre ; vins, miels, froment
et vêtements. Des ports vikings partaient des chargements de stéatite,
la pierre de lard, recherchée par les potiers de toute l'Europe et les
pierres à aiguiser indispensables aux agriculteurs. De Noirmoutier d'où
les Vikings contrôlaient la vallée de la Loire arrivaient le sel et le
vin. De l'embouchure du Rhin venaient les produits de la Rhénanie, d'Alsace
et de l'Europe centrale : poteries, céramiques, verreries, armes franques.
La Suède livrait son minerai de fer.
Acheminés le long des fleuves russes, puis par la Baltique arrivaient
les produits de l'est de l'Europe et du Proche-Orient : soie, brocarts,
épices et argent. Sans oublier le commerce sans doute le plus lucratif
: la traite des esclaves razziés sans vergogne dans les steppes orientales
sous prétexte qu'ils n'étaient pas chrétiens.
4 - A LA DÉCOUVERTE DES CONTINENTS
Le fait que les Vikings aient franchi le formidable Atlantique nord vers
l'Islande, le Groenland et l'Amérique étonnent toujours les historiens.
Malgré des naufrages sûrement nombreux, des infortunes de mer dues aux
tempêtes, aux vents, à l'absence de boussole, les Scandinaves ont abordé
les premiers des rivages nouveaux. La découverte en 1960 par l'archéologue
norvégien Helge Ingstad d'un site viking à l'Anse-aux-Meadows à la pointe
nord-ouest de Terre-Neuve a apporté la preuve définitive que les Vikings
avaient découvert l'Amérique. Jusqu'où sont-ils allés? Certains prétendent
qu'ils auraient été jusqu'à la latitude de New-York et même plus bas,
jusqu'en Virginie.
L'histoire commence par les Iles Féroé, atteintes dès le début du IXe
siècle. Elle continue en 874 par l'Islande. En 930, quand prend fin la
première phase de la colonisation, ce pays compte plus de 60 000 habitants.
Suit en 986 le Groenland avec une arrivée de 14 navires chargés de colons
et de bétail conduits par Eric le Rouge. Cette florissante colonie, dans
le sud-ouest de l'île, ne s'éteindra qu'au début du XVe siècle. En 986,
le fils d'un compagnon d'Éric le Rouge décida de rejoindre son père au
Groenland depuis l'Islande. Après avoir dérivé pendant plusieurs semaines,
il aperçut une terre «plate et boisée, semée de petits monticules».
C'était l'Amérique. Une demi-douzaine d'expéditions suivra, marquée
par un établissement durable. Malheureusement l'hostilité des indigènes
y mettra fin.
L'ensemble des atterrages nord-américains porta désormais le nom de Vinland
ou Terre du Vin car les pionniers scandinaves furent frappés par l'abondance
de vignes sauvages - observations corroborées par Jacques Cartier lors
de son premier voyage en 1534. Par les Annales islandaises, nous savons
que le commerce de bois et de raisins américains eut lieu pendant tout
le Moyen-Âge.
5 - DES CONDITIONS PALÉOCLIMATIQUES
PROPICES
Tous les spécialistes sont d'accord : les Vikings ont bénéficié d'un climat
clément pour parcourir les mers et coloniser les terres les plus éloignées
de leur pays d'origine. La température des fjords était en moyenne de
4° supérieure à ce qu'elle est aujourd'hui. La température au sud du Groenland
pouvait être comprise entre 13° et 14° degrés. C'était bien une terre
verte. L'eau de surface sur l'Atlantique nord était au moins de 2° supérieure
à celle qu'elle est aujourd'hui.
Conséquence immédiate : moins de glaciers, moins d'icebergs et moins de
risques pour la navigation. Il est attesté que les Vikings pouvaient longer
la côte Est du Groenland sans craindre les glaces. Au XIIIe siècle, tout
changea et les itinéraires faciles d'antan devenaient périlleux et impraticables.
6 - LE ROYAUME DU LANGSKIP
Revenons en Europe. Après avoir contourné les côtes par cabotage, le navire
de guerre viking pouvait pénétrer loin à l'intérieur des terres en remontant
les fleuves grâce à son faible tirant d'eau. Les guerriers du Nord attaquaient
l'ennemi par surprise, massacraient, rançonnaient, puis disparaissaient.
A l'époque, les Européens n'avaient pas d'armes pour contrer cette véritable
forme de commandos avant la lettre. On les vit combattre jusqu'en Méditerranée.
Carolingiens, Bataves, Espagnols, Anglais furent des victimes presque
passives pendant trois siècles.
7 - LE DÉCLIN : LE COGGE ET LA
HANSE PRENNENT LE RELAIS
Le temps des Vikings aura duré près de trois siècles. Débutant en 793
par le sac du monastère de Lindisfarne, il s'achèvera en 1066 quand Harald
Sigurdarson sera battu devant York. La fin de l'hégémonie navale des Scandinaves
s'explique par plusieurs facteurs :
- l'envasement progressif des grands ports de la Baltique - seuls les
ports en eaux profondes continueront leur activité avec des fortunes diverses
;
- des changements géostratégiques, notamment des Suédois qui s'installent
en Finlande pour atteindre la Carélie (leur destin est désormais à terre)
;
- enfin l'apparition d'un nouveau bâtiment de commerce qui vient supplanter
le knarr : le cogge.
Navire entièrement ponté, muni de deux châteaux, haut de plus de 6 m à
la cale, doté d'un gouvernail d'étambot et bien pansu, le cogge peut emporter
près de 100 tonnes de charge utile.
Evidemment, il a besoin de port en eaux profondes et condamne de ce fait
les ports de première génération où langskips et knarrs pouvaient s'amarrer.
Enfin, la construction de cogges demande des capitaux lourds quasiment
introuvables dans la société scandinave. Désormais, l'histoire de l'Europe
du Nord descend vers l'Allemagne : la Hanse va prendre le relais du commerce
viking et multiplier comptoirs et factoreries sur toutes les côtes - de
Nantes à Novgorod, de Dublin à Bergen - sous lesquels croisaient les langskips
et les knarrs.
La Hanse créera ensuite la hourque, navire plus gros que le cogge, permettant
de doubler voire de tripler le tonnage des marchandises, mais également
de se défendre contre les pirates et les corsaires grâce à ses nombreux
canons.
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